Un simple coup d’œil jeté à une carte de Franche-Comté attire l’attention sur une histoire importante pour cette région de l’Est de la France : l’histoire du sel dans le Jura. Salins-les-Bains, Lons-le-Saunier… autant de noms de villes qui se font écho de cette période faste de son histoire, et qui aura contribué à sa richesse.
À quelques kilomètres de Salins-les-Bains, c’est un projet un peu fou qui a mûri un jour dans l’esprit d’un architecte du roi de France : la saline royale d’Arc-et-Senans. Plus qu’un simple monument historique classé au patrimoine mondiale de l’UNESCO, c’est aussi le marqueur d’un défi industriel et humaniste qu’on peut aujourd’hui encore visiter.
Sommaire de l’article :
L’histoire du sel à Arc-et-Senans, du Doubs au Jura
Il faut se replonger aux environs du dix-huitième siècle pour bien comprendre les tenants et aboutissants de la construction de la saline d’Arc-et-Senans. À l’époque, le sel est une denrée précieuse car c’est la seule qui permet de conserver les aliments pendant une longue durée.
Le sel est même alors parfois qualifié « d’or blanc », et un impôt était prélevé sur sa consommation : c’est la fameuse gabelle.
Quand on pense à l’extraction du sel en France, on n’imagine certes pas un vaste désert de sel comme à Uyuni, mais on pense plus volontiers aux marais salants. Pourtant la Franche-Comté fait aussi partie des territoires riches en sel. Ici, l’extraction est néanmoins un peu différente : on récupère de l’eau enrichie en sel dans les sols, puis on la chauffe jusqu’à ébullition pour en récupérer le précieux minéral.
Il faut donc : un sol riche en sel, de l’eau, et bien sûr beaucoup de bois pour pouvoir alimenter les immenses chaudières destinées à chauffer l’eau ainsi récoltée (la saumure) pour en extraire le sel. Et ça tombe bien, le Jura est aussi une terre réputée pour ses forêts !
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Une saline loin du sel mais proche de la forêt
La saline d’Arc-et-Senans dispose d’une particularité qui lui est caractéristique. Contrairement aux autres salines de la région, et notamment la grande saline de Salins-les-Bains, celle d’Arc-et-Senans n’a pas été construite à côté d’un puits de sel. Au contraire, on a préféré construire la saline d’Arc-et-Senans à proximité immédiate du bois utilisé pour la chauffe, et en particulier de la forêt de Chaux, l’une des plus grandes forêts de France.
À l’époque, on juge qu’il est en effet plus difficile de transporter sur de longues distances le bois que la saumure, cette eau salée qui sert de matière première pour l’extraction du sel gemme.
D’ailleurs, un immense saumoduc de 21 kilomètres de long est bâti entre Salins-les-Bains et la saline royale d’Arc-et-Senans pour acheminer jusque-là la saumure extraite de la Terre. Avant de rejoindre la saline, elle passera par un bâtiment de graduation, situé à 800 mètres de la saline mais malheureusement détruit en 1920.
Le rôle de cet édifice est, par un ingénieux processus d’évaporation, d’augmenter la concentration en sel de la saumure et ainsi d’augmenter les rendements en limitant la consommation de bois de la saline.
Un projet industriel… et humaniste !
La construction de la saline royale d’Arc-et-Senans, approuvée par le roi Louis XV peu de temps avant sa mort, débute en 1775 et dure environ quatre ans. Son architecte, Claude-Nicolas Ledoux, opte pour un schéma semi-circulaire caractéristique.
En fait, le dessin reprend une ancienne idée de l’architecte, coupée en deux pour n’en garder qu’un demi-cercle.
On accède à l’intérieur de la saline d’Arc-et-Senans par une entrée monumentale décorée d’imposantes colonnes doriques. Sous ce péristyle, une « grotte » décorée rappelle que le sel est extrait péniblement des entrailles de la Terre. Des jarres d’où s’écoule une saumure de pierre finissent de compléter le tableau.
Il faut bien garder à l’esprit que l’accès à la saline était minutieusement contrôlé, à l’entrée comme à la sortie. Pas question de s’échapper avec quelques grammes de sel, « l’or blanc » de l’époque, dans les poches ! Une telle protection justifie une entrée unique et bien gardée…
Au centre, la maison du Directeur abrite, comme son nom l’indique, le bureau du directeur mais aussi la chapelle de la saline. On y retrouve, dans un style légèrement différent, les colonnes doriques de l’entrée de la saline. Un oculus particulièrement visible depuis chacun des points de la saline rappelle en outre que l’œil du directeur sur les employés de la saline n’est jamais très loin…
De part et d’autre de la maison du Directeur, deux immenses bâtiments s’étendent tout en longueur : les bernes. C’est là que se trouvait le cœur industriel de la saline d’Arc-et-Senans. En effet, c’est dans ses bâtiments que la saumure était chauffée pour récupérer les cristaux de sel qui se formaient alors à sa surface.
Enfin, tout autour du site, on peut apercevoir sur les bords de l’arc de cercle un ensemble de maisons. Elles étaient pour la plupart destinées à accueillir les ouvriers de la saline, et donnaient sur des petits jardins individuels qui leur permettaient d’envisager la vie en autarcie. Car la saline d’Arc-et-Senans n’était pas qu’un projet industriel, c’était aussi et peut-être avant tout la vision humaniste d’un architecte inspiré par l’esprit des Lumières.
Contrairement au projet initial, le tout forme plusieurs bâtiments espacés. Une façon d’assumer un certain découpage fonctionnel de la saline royale d’Arc-et-Senans, mais surtout un moyen imparable de lutter contre les incendies ravageurs fréquents à cette époque.
La deuxième vie de la saline d’Arc-et-Senans
Aujourd’hui, l’histoire industrielle du site de la saline royale d’Arc-et-Senans a complètement disparu. Et il faut bien avouer que c’est particulièrement frustrant ! Seule subsiste l’architecture incroyable des lieux, imaginée par Claude-Nicolas Ledoux.
En fait, l’activité de la saline s’arrête en 1895, après moins de 120 ans de services. Malgré plusieurs tentatives de reprises, le site n’a jamais réussi à atteindre des rendements suffisants pour garantir la rentabilité de l’exploitation. Pour couronner le tout, un incendie se déclare accidentellement en 1918 et détruit une partie du site.
Tour à tour abandonné, puis restauré pour en faire des haras, camps de prisonniers pendant la guerre… le site peine à trouver une vocation pérenne et on le croit condamné.
Pourtant, à la fin de des années 1960, l’opinion publique commence à prendre conscience de la valeur du site des salines royales d’Arc-et-Senans, notamment après le tournage dans son enceinte d’une adaptation du Dom Juan de Molière, qui réunira à l’écran Michel Piccoli et Claude Brasseur.
Aujourd’hui, la saline d’Arc-et-Senans est devenue un établissement à vocation culturelle et abrite de nombreuses expositions et événements culturels.
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Le bâtiment des Tonneliers abrite ainsi un intéressant musée permanent consacré à l’œuvre architecturale, parfois un peu folle, de Claude-Nicolas Ledoux. La maison du Directeur abrite quant à elle un musée du sel et des expositions temporaires. Enfin, les deux immenses bernes accueillent des salles de conférences et des événements culturels, incluant parfois des concerts dont on dit qu’ils profitent de l’acoustique exceptionnelle des hautes charpentes.
Chaque année, à la belle saison, les jardins vivriers de la saline royale d’Arc-et-Senans accueillent un festival international des jardins.
De quoi mettre en valeur le patrimoine architectural laissé par l’œuvre de Claude-Nicolas Ledoux. En visitant la saline royale d’Arc-et-Senans, on reste malgré tout sur notre faim de n’y retrouver aucune trace tangible de l’histoire industrielle des lieux.
Informations pratiques
- Arc-et-Senans se situe à une trentaine de kilomètres à l’est de Dole ou au sud-ouest de Besançon. Compter 35 minutes de route depuis Dole, 45 minutes depuis Besançon.
- Le site est accessible à pied depuis la gare d’Arc-et-Senans, desservie par le TER Bourgogne-Franche-Comté. Le plus simple reste de s’y rendre en voiture : on peut se garer gratuitement à proximité.
- La visite guidée, dont les horaires sont plutôt limités, offre un plus. À défaut, des audio-guides sont disponibles. Prévoir 1h30 à 2h sur place. Plus d’informations sur le site officiel.
- Si c’est l’histoire industrielle des lieux qui vous intéresse, passez votre chemin et préférez la visite de la Grande Saline de Salins-les-Bains.
Cet article a été rédigé sur la base d’un voyage effectué en juillet 2020.
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